La revue s’apprête à célébrer les dix ans d’ouverture du Musée national de l’histoire de l’immigration avec enthousiasme. Cet anniversaire offre l’occasion d’un examen salutaire sur son positionnement et son identité éditoriale dans l’univers des revues.
Fondée par l’Amana en 1965 comme outil de documentation sur l’immigration en France, Hommes & Migrations s’est, au fil du temps, transformée en revue spécialisée sur les migrations internationales, en publiant des centaines d’articles issus de travaux de recherche et de réflexions de terrain. Son aventure a pris un tournant, rejoignant celle du Musée, lorsque le titre a été confié à l’Agence pour le développement des relations interculturelles (Adri), choisie par Jacques Toubon pour préfigurer la future Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Philippe Dewitte, rédacteur en chef de la revue à l’époque, s’est investi dans l’orientation scientifique de cette mission de préfiguration. Malgré la maladie qui allait l’emporter en mai 2005, il a conçu la première version de l’exposition permanente du Musée national de l’histoire de l’immigration.
Depuis l’ouverture du Musée en 2007, la revue a accompagné les réflexions d’une institution unique en Europe grâce à la mobilisation des savoirs et des questionnements qu’elle met en forme à partir des réseaux scientifiques de ses auteurs. Comme la boussole frémit à l’approche des pôles magnétiques, la revue a exploré les émergences du champ de la recherche (genre et migrations, discriminations, migrations mondialisées, transnationalisme, gouvernance et Frontières, etc.) et ouvert certains chantiers thématiques pour le musée de demain. À plusieurs reprises, elle a accompagné la préparation des expositions temporaires sous forme d’inventaire des recherches (Diasporas arméniennes, À chacun ses étrangers-France-Allemagne, Vies d’exil, Frontières), mais aussi chroniqué les collections du Musée en cours de constitution et participé à des journées d’étude, des séminaires et autres tables rondes en relation avec la programmation du Musée. Enfin, la revue a porté la genèse du Prix littéraire de la Porte dorée et publié des critiques sur les romans primés et des entretiens des lauréats des huit éditions passées. Son rôle dans le Musée est aujourd’hui l’objet d’une réflexion collective, au sein d’un service consacré à la production des ressources.
L’enjeu est à présent de développer les synergies et la transversalité des activités avec les autres pôles de production du Musée. Inversement, le Musée a soutenu la ligne éditoriale à la fois scientifique et culturelle de la plus ancienne revue sur les migrations en France. Les perspectives des dix prochaines années s’ouvrent sur des pistes tout aussi ambitieuses. La revue a pris en compte les nouveaux modes de diffusion des connaissances en numérisant ses archives. En publiant tous ses articles sur les plateformes scientifiques (Cairn et Revues.org), Hommes & Migrations entend s’investir dans le vaste projet numérique du Musée sur les migrations. Son patrimoine immense permet d’y puiser les ressources documentaires nécessaires à la conception de nouveaux contenus qui soient en résonance avec l’actualité des migrations. Sa ligne éditoriale, déjà pluridisciplinaire, va s’enrichir d’une réflexion sur le sens des images en regard des contenus explorés. Comme le démontre ce dossier sur les migrants au Liban coordonné par Liliane Kfoury et Nicolas Puig, les images – principalement la photographie – ne sont pas seulement une illustration des articles, mais elles apportent une autre dimension au discours scientifique. Les sciences humaines et sociales les appréhendent désormais comme une source à part entière qui fabrique un certain regard sur les phénomènes migratoires, et qu’il faut décrypter et interpréter en complément des récits, des recensements statistiques ou des observations participantes.
Comment la revue pourra-t-elle à l’avenir rendre compte de la place des images dans les démarches heuristiques ? Dans le paysage des revues scientifiques en pleine mutation, Hommes & Migrations va donc poursuivre son évolution éditoriale au sein d’un musée ouvert aux audiences les plus larges possible, dont Benjamin Stora, le président de son comité d’orientation, dresse le bilan d’une décennie relativement mouvementée. Comme toute naissance.