Éditorial

L'année de tous les tourments

La revue Hommes et Migrations s’est investie dans le partenariat entre le Comité d’histoire du ministère de la Culture, les universités Paris-1, Paris-3, Sciences Po-Bordeaux et le Musée national de l’histoire de l’immigration en publiant les contributions du séminaire animé par Françoise Taliano-des- Garets et Laurent Martin sur la place de la diversité culturelle dans quatre capitales européennes (Berlin, Londres, Madrid et Paris).

Rédactrice en chef de la revue

Ce séminaire accompagnait durant plusieurs séances l’exposition Paris-Londres. Music Migrations. 1962-1989. Une petite partie seulement des communications présentées lors du séminaire est ici publiée. Les articles nous permettent de comparer la manière dont ces capitales européennes, en fonction de leur contexte historique et de leur degré d’attractivité des flux migratoires, favorisent des transferts culturels vers les scènes artistiques et reconnaissent la diversité culturelle comme un des leviers de la modernité.
Sont ainsi interrogés les politiques migratoires, l’accueil des artistes étrangers, la place des cultures immigrées au sein des institutions patrimoniales et culturelles, leur représentation dans les médias. Ce qui se joue avec cette ouverture des cercles artistiques aux apports venus d’ailleurs, c’est la capacité des capitales à être le théâtre d’hybridations de cultures et de formes esthétiques. Aujourd’hui, si leurs modèles culturels diffèrent selon la vigueur des sédimentations culturelles, leur avenir international se mesure à l’aune de la singularité, de l’inventivité et du caractère alternatif, voire iconoclaste, de leur économie de la création.

La revue s’associe à l’actualité du 80e anniversaire de la Retirada de part et d’autre des Pyrénées. Après plusieurs décennies d’une reconnaissance progressive des mémoires de la guerre d’Espagne, la société française semble se mobiliser plus largement cette année pour rendre un hommage à toutes les mémoires de cette guerre, celles des anciens combattants républicains, celles des volontaires des brigades internationales et celles des populations civiles, victimes des atrocités de la guerre : des collectivités territoriales, des services d’archives, des festivals, des centres de recherches, des établissements scolaires, des musées de la Résistance, des associations programment tout au long de l’année des manifestations dans les régions où sont arrivés les exilés espagnols. Les anciens camps de détention (Agde, Rivesaltes, Argelès-sur- Mer, Saint-Cyprien, Gurs, etc.) conservent et transmettent aux générations futures l’histoire de la Retirada. En Occitanie, 13 d’entre eux accueillent Des Espagnols dans les camps, une installation itinérante de 14 portraits photographiques de Paul Senn. Ce photo reporter suisse, dont le Centre international du photojournalisme expose au camp de Rivesaltes la plus grande partie de son œuvre, avait accompagné ses clichés de témoignages précieux sur l’exode espagnol et les camps, dans la même veine de la photographie humaniste engagée d’un Robert Capa ou d’un David Seymour. Tandis que l’an passé, l’exposition Guernica, présentée au Musée national Picasso à Paris, était initiée dans le cadre du programme Picasso-Méditerranée à l’occasion du 80e anniversaire de la Retirada, les Abattoirs- Musée Frac Occitanie ont pris le relais à Toulouse avec une exposition Picasso et l’exil, sous-titrée « une histoire de l’art espagnol en résistance », sur l’engagement des artistes exilés autour de Picasso contre les dictatures et pour la paix.
Si l’exil espagnol annonçait « la matrice de la catastrophe à venir », l’année 1939 manifeste tout autant l’irrésistible avènement de la guerre que le vaste mouvement qui voit converger des immigrés devenus indésirables, des exilés antifascistes et antinazis pourchassés, des combattants des armées vaincues… qui vont s’engager dans la Résistance et poursuivre leur combat sous l’Occupation. En mobilisant les collections du Musée sur cette année 1939, notamment avec le portfolio et des articles historiques, c’est tout le spectre de ces luttes imbriquées que Hommes & Migrations évoque dans ce numéro pour les inscrire comme un temps fort de l’histoire de France.