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3Banlieues engagées

Carte postale de la cité Les Choux à Créteil

La crise du logement est aiguë en France au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et elle ne fait que s'aggraver avec la croissance économique des Trente Glorieuses et les mouvements de population qu font suite aux décolonisations et qui convergent vers les métropoles. Construire est le maître mot de l’État en ce milieu du 20e siècle. Il bâtit de nombreux logements en vingt-cinq ans à peine, mais cette urbanisation rapide pose vite problème : elle crée des phénomènes d'exclusion et de ghettoïsation. En 1973, la circulaire Guichard met fin à la construction de grands ensembles. À partir de là, le vocabulaire de la  rénovation urbaine  s'impose dans le débat public, en réponse à la dégradation rapide des habitations construites à la hâte et au sentiment d'abandon ressenti par de nombreux habitants. En 1981, ce mal-être atteint un point critique : le quartier des Minguettes à Vénissieux, s'embrase. Ce soulèvement met en lumière ce qui sera pudiquement appelé  le malaise des banlieues .

Peinture de Fatiha Damiche par VINCE VINCI

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VINCE VINCI, Peinture de Fatiha Damiche, 1993.

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© VINCE VINCI

Face à un racisme croissant, la jeunesse s’organise et imagine une réponse forte : une marche pacifique à travers la France pour défendre les droits des enfants de l'immigration. Inspirée des actions non violentes des indépendantistes indiens et des mouvements états-uniens pour les droits civiques, cette initiative marque le début d'une série de mobilisations où l’inventivité politiques va de pair avec la créativité plastique. 

Quelles sont l'histoire et la géographie de ces luttes ? Quelles sont les traces - physiques, médiatiques, politiques, spirituelles et artistiques - que laissent ces rêves lorsqu'ils se mettent en mouvement ?

Banlieues rouges

Les lotissements, ces quartiers de pavillons apparus dans les années 1920 sur des terrains bon marché, découpés par certains promoteurs au hasard des opportunités foncières, incarnent le rêve populaire d'accès à la propriété autant que les dérives de la spéculation immobilière. Ces terrains, découpés au gré des opportunités par des promoteurs peu scrupuleux, laissent souvent leurs habitants, appelés  mal-lotis , privés des services essentiels : électricité, eau, gaz, routes et tout-à-l'égout.

Illustration Homme assis dans le paysage de Fernand Léger

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Fernand Léger, Homme assis dans le paysage, paru dans « Entretien de Fernand Léger avec Blaise Cendrars et Louis Carré sur le paysage dans l'œuvre de Léger », 1953. Bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art, collections Jacques Doucet, NZ LEGE3.A1 1956.

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INHA © Paris, ADAGP 2025.

 Face à ces injustices, le jeune Parti communiste se fait rapidement le porte-parole des revendications d'une grande partie de ces mal-lotis. Dès les élections municipales de 1925, une  ceinture rouge  s'installe dans les périphéries les plus démunies.

Ce mouvement s'enracine jusqu'aux années 1980, porté par une alliance forte avec le nouveau prolétariat des grandes usines qui se sont développées après la Première Guerre mondiale, auquel les nombreux maires communistes, issus de la classe ouvrière, promettent un monde meilleur avec des politiques sociales et des habitations bon marché - ancêtres des HLM.

Le communisme municipal repose sur une organisation locale où travail, habitat et loisirs cohabitent, comme à la cité de la TASE de Vaulx-en-Velin. Malgré quelques initiatives en faveur de la solidarité avec les populations issues de l'immigration postcoloniale, il se délite dans les années 1980 avec la désindustrialisation et la paupérisation de la population au sein des banlieues.

Planifications et rénovations urbaines

Le mouvement moderne, et par extension l'invention de la ville moderne, pose la question du logement collectif comme mode de vie, mais aussi comme projet idéologique. Les réflexions menées sur la rationalisation de l'habitat populaire et le fonctionnalisme architectural naissent dans l'entre-deux-guerres, mais prennent pleinement leur essor après la Seconde Guerre mondiale.

Photographie de deux fillettes par Jean-François Noël

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Jean-François Noël, Deux fillettes, La Grande Borne, Grigny, 1973. Collection Jean-François Noël - auteur-photographe

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© Jean-François Noël

Carte postale de la cité Les Choux à Créteil

Carte postale, Les Choux, Créteil (94). Collection Renaud Epstein

En France, les grands ensembles ont de multiples visages : la Cité des 4000 (La Courneuve), la Grande Borne (Grigny), les Courtillières (Pantin), le Neuhof (Strasbourg), les Minguettes (Vénissieux), la Perralière (Villeurbanne) ... Leur spécificité réside notamment dans la vitesse de construction de ces logements, des années 1950 à 1973, pour résorber au plus vite la précarité des bidonvilles et des cités de transit. Pour les décideurs, la banlieue est un sujet tant d'étude et de préoccupation que d'expériences architecturales et économiques. La France incarne un modèle singulier : intervention de l’État et aménagement du territoire sont plus étroitement liés que dans n'importe quel pays européen ou occidental.

Photo de la série Le Grand Ensemble - Les Implosions de Mathieu Pernot

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Mathieu Pernot, Meaux, 24 avril, 2004, Le Grand Ensemble – Les Implosions (série), 2004. Musée national de l'histoire de l'immigration

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© EPPPD-MNHI © ADAGP, Paris, 2025

Des luttes en héritage

Mohamed Bourouissa, La République, 2006, série Périphéries. Musée national de l'histoire de l'immigration

Mohamed Bourouissa, La République, 2006, série Périphéries. Musée national de l'histoire de l'immigration © Mohamed Bourouissa

© EPPPD-MNHI

Les grands ensembles, qui devaient faire entrer la France dans la modernité, ont permis de résoudre en partie la crise du logement. Cependant, ces quartiers souvent vétustes, mal desservis par les transports publics, peu connectés au reste du tissu urbain et aux structures municipales, ont progressivement vu se cristalliser des situations de relégation territoriale et de ghettoïsation sociale, alimentant des revendications citoyennes mêlant aspiration à la dignité des conditions de vie et à l'égalité des droits, et demande de justice liée à un sentiment de révolte contre les discriminations et le racisme.

Des années 1970 et 1980 jusqu'à l'été 2023 s'écrit dans ces espaces en marge une histoire des luttes et des contestations symbolisées par des lieux comme les Minguettes ou Clichy-Montfermeil, et par des morts tragiques comme celles de Zyed Benna et Bouna Traoré, Amine Bentounsi, Adama Traoré, Cédric Chouviat ou Nahel Merzouk.

Ce sont dans les espaces associatifs et médiatiques mais également dans les champs artistiques et culturels que se formulent les luttes et les mobilisations, à la croisée de l'histoire sociale, ouvrière et migratoire.

Bureau de presse

L'année 1983 marque un tournant. En quelques mois, plusieurs événements tragiques se succèdent : Habib Grimzi, touriste algérien, est assassiné par défenestration du train dans lequel il voyageait ; Toumi Djaïdja, jeune président de l'association SOS Avenir Minguettes, se fait tirer dessus et est grièvement blessé dans la nuit du 19 au 20 juin 1983 en tentant d'empêcher le chien d'un vigile de s'en prendre à un jeune de son quartier.

C'est dans ce contexte qu'est initiée la Marche pour l'égalité et contre le racisme qui se déroule du 15 octobre au 3 décembre 1983 entre Marseille et Paris, alors que la gauche est au pouvoir, mais que parallèlement le Front national gagne en influence. Cette marche, composée d'habitants de plusieurs banlieues françaises sillonnant le pays, rend visibles aux yeux du grand public et des médias majoritaires les revendications de toute une génération, qui se fait l'écho des engagements de ses ainés, souvent oubliés ou passés sous silence.

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Bureau de presse de l'exposition « Banlieues chéries »

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Photo : Quentin_Chevrier © Palais de la Porte Dorée, avril 2025

De la Marche de 1983 aux mouvements citoyens actuels, de Zaâma d'banlieue à l'agence IM'média ou le Bondy Blog, se construisent et se structurent dans les banlieues des réponses militantes et politiques aux violences institutionnelles et policières, contrepoints à la partialité des grands médias et à l'arbitraire du pouvoir. Dans notre bureau de presse, nous vous invitons à (re)découvrir ces médias, ces films et des fanzines qui ont marqué l'histoire et qui continuent d'influencer l'opinion et d'inventer le journalisme de demain.

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