Parcours

21830-1914 : ensemble mais différents dans la société coloniale

 Section 1

Image
Eugène Delacroix, Le Sultan du Maroc Mulay Abd-Er-Rahman recevant le comte de Mornay, ambassadeur de France, 1832

En 1870, par le décret Crémieux, l’État français crée dans son empire au Maghreb une différence de statut juridique entre les « indigènes » juifs et musulmans. Cet acte juridique octroie collectivement la citoyenneté française aux 35 000 juifs d’Algérie, mais pas aux 3 millions de musulmans, dont le statut d’« indigène », aux droits civiques et juridiques limités, ne change pas. Cette différence de statut ne sera pas déclinée pour les communautés juive et musulmane de Tunisie et du Maroc, où la France s’imposera en 1889 et 1912.

Image
Eugène Delacroix, Le Sultan du Maroc Mulay Abd-Er-Rahman recevant le comte de Mornay, ambassadeur de France, 1832
Eugène Delacroix, Le Sultan du Maroc Mulay Abd-Er-Rahman recevant le comte de Mornay, ambassadeur de France, 1832, huile sur toile, 31 × 40 cm.
© Musée des Beaux-Arts de Dijon/ Michel Bourquin

L’accession des juifs d’Algérie à la citoyenneté consacre un processus, amorcé dès le milieu des années 1830, d’assimilation au modèle français. Elle suscite des réactions hostiles, principalement chez les Européens d’Algérie. En Tunisie et au Maroc, sous protectorat français, juifs et musulmans restent des « indigènes », séparés des Européens. Cependant, les mutations de l’éducation et de l’économie détournent progressivement les sociétés juives de la culture berbéro-arabo-musulmane dans laquelle elles avaient vécu plus d’un millénaire.

Figures de médiateurs : arabisants juifs et musulmans au service de l’armée

Avant même l’expédition française contre la régence d’Alger (1830), les missions diplomatiques françaises au nord de l’Afrique recourent à des interprètes de l’arabe natifs du Maghreb. Parmi ces interprètes se trouve un nombre significatif de juifs, souvent négociants de profession et habitués à naviguer entre les langues méditerranéennes. La présence de ces interprètes est stratégique dans le contexte de la conquête violente de l’Algérie, tant du côté français qu’algérien. Leur rôle de médiation les expose toutefois aux soupçons de traîtrise de part et d’autre. Réformé en 1854, le concours d’interprète militaire impose la nationalité française, pour exclure juifs et musulmans indigènes. Paradoxalement, l’interprétariat devient une voie d’accès individuel à la citoyenneté française, tant pour les musulmans que pour les juifs d’Algérie, avant 1870.

La valse des statuts

L’abolition du statut de dhimmi par l’armée française, dès l’été 1830, place les juifs de la régence d’Alger sur un pied d’égalité avec les musulmans, désormais tous désignés comme « indigènes ». En 1856, le bey de Tunis abolit à son tour la dhimma, tandis qu’au Maroc, elle ne fut officiellement abrogée qu’en 1956. L’extinction de la dhimma n’a pas signifié la fin du statut de « protégé », puisque se développe à partir de 1830 un autre type de protection : la protection consulaire. Celle-ci permettait aux ressortissants d’Algérie, juifs et musulmans, établis hors de ce territoire, de bénéficier de la protection de la France en se faisant enregistrer comme sujets français. Mais cette protection consulaire est restée ambiguë, car appliquée à des individus auxquels la France a pu refuser par ailleurs la pleine nationalité, à l’image des musulmans d’Algérie ou, jusqu’en 1870, des juifs d’Algérie.

Education

Au Maroc et en Tunisie, sous protectorat, l’enseignement traditionnel (madrasa pour les musulmans, yeshivot pour les juifs) cohabite avec le système français. En 1862, l’Alliance israélite universelle ouvre sa première école à Tétouan, au Maroc, puis en Tunisie, où les cours dispensés aux enfants juifs sont principalement en français. Le réseau de l’Alliance s’élargit ensuite en Orient, mais très peu en Algérie, divisée en trois départements français depuis 1848.
En Algérie, depuis les années 1880, les écoles suivent le programme français : un enseignement public et obligatoire pour tous, y compris les juifs, sauf pour les enfants musulmans. Ces derniers relèvent du système « indigène », au budget contrôlé, tourné vers un français dit « pratique ». Dans cette organisation, les filles musulmanes sont les plus marginalisées.