Parcours

51945-1967, nouveaux États, nouveaux destins ?

Section 4

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Boris Taslitzky, Le Bon Samaritain II, 1960

Après 1945 s’ouvre la phase de la décolonisation en Indochine et en Afrique. La création de l’État d’Israël en 1948, puis la guerre d’Algérie et la révolution panarabe en Égypte, avec l’intervention franco-britannique en 1956, précipitent les séparations rendues inéluctables par les clivages idéologiques.
La période 1945-1967 est celle, décisive, de l’arrivée massive en France des juifs d’Afrique du Nord et d’Égypte, du monde arabe en général, et d’une forte communauté maghrébine, de culture et tradition musulmanes. Pourtant, la différenciation sociale est grande entre des juifs qui avaient choisi, pendant l’ère coloniale, l’intégration politique, et sont venus en France avec la perspective de rester, et les travailleurs et les familles musulmanes arrivés en grand nombre au cours des Trente Glorieuses et vivant dans l’attente d’un retour économiquement possible dans des pays devenus indépendants. Dès 1967, toutes ces différences trouvent un catalyseur puissant dans la question palestinienne, qui arrive en surplomb d’un siècle de divergences entre ces deux communautés.

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Boris Taslitzky, Le Bon Samaritain II, 1960
Boris Taslitzky, Le Bon Samaritain II, 1960, huile sur toile, 130 × 162 cm.
 Collection particulière.
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Jean Atlan, La Kahena, 1958, huile sur toile
Jean Atlan, La Kahena, 1958, huile sur toile.
© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Adam Rzepka. © Adagp, Pars, 2022

1948 : Le conflit israélo-arabe s’invite en France

La proclamation de l’indépendance de l’État d’Israël, le 14 mai 1948, suscite des réactions opposées parmi les populations juives et musulmanes en France et dans son empire. La cause en faveur d’un foyer national juif trouve des soutiens inédits du côté des juifs français, profondément marqués par l’antisémitisme d’État du régime de Vichy. Du côté musulman, les nationalistes algériens encouragent à soutenir le camp arabe en Palestine, au nom de la contestation de l’ordre colonial.
À Marseille, où travaillent de nombreux dockers musulmans, la situation se tend pendant l’été 1948. Port de transit pour les juifs d’Afrique du Nord, notamment marocains, qui aspirent à émigrer en Israël, Marseille voit s’affronter juifs et musulmans, sous le regard attentif des autorités françaises attachées à défendre une position de neutralité dans le conflit au Proche-Orient.

Algérie, la fin des illusions

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Paul Almasy, Arrivée dans le port de Marseille, 1962
Paul Almasy, Arrivée dans le port de Marseille, 1962, tirage argentique noir et blanc sur papier, 54 × 49,5 cm.
© Musée national de l’histoire de l’immigration

Pendant la guerre d’Algérie, le fossé se creuse progressivement entre les communautés juive et musulmane. Devenus français depuis au moins cinq générations, et malgré l’épisode douloureux vécu sous le régime de Vichy, les juifs d’Algérie sont majoritairement en faveur de la présence française en Algérie. Un groupe minoritaire de juifs, souvent communistes, se prononce en faveur du FLN et de l’indépendance. Les attentats comme celui du dancing de la Corniche à Alger en 1957, qui frappent en majorité la jeunesse juive, puis l’assassinat du chanteur Raymond Leyris à Constantine en juin 1961, accélèrent le départ en masse des juifs vers la France en 1962. Le rêve d’une Algérie fraternelle et égalitaire, entre toutes les communautés, disparaît alors.

Politiques de l’accueil. L’invention du séfarade et de l’immigré maghrébin

Les populations juives et musulmanes originaires d’Afrique du Nord relèvent de catégories administratives hétérogènes qui conditionnent leur accueil en France.
Les juifs d’Algérie bénéficient des mesures d’aides décidées dans le cadre du rapatriement, tandis que leurs coreligionnaires tunisiens et marocains arrivent en France sous des statuts différents : citoyens français pour les uns, étrangers pour les autres. Tous peuvent néanmoins compter sur un secteur associatif juif mobilisé pour favoriser l’insertion de familles arrivées sans perspective de retour au pays natal.
À l’inverse, les migrations des populations musulmanes relèvent d’une politique destinée à encadrer strictement une main-d’œuvre dont le séjour en France est pensé comme temporaire. Les aides à l’installation familiale restent ainsi très limitées, bien que, dès la fin des années 1950, de nombreuses familles algériennes aient élu domicile en France métropolitaine.

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Pierre Boulat, La vie des Nords-Africains de Paris, 1955
Pierre Boulat, Paris-La Goutte d'or, La vie des Nord-Africains de Paris, 1955 (titre de la série), tirage photographique sur papier baryté, 30 cm x 40 cm, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv. 2012.22.5
© EPPPD-MNHI, © Pierre Boulat/Association Pierre & Alexandra Boulat

Les juifs dans la lutte anticoloniale

Pendant la guerre d’Algérie, un groupe très minoritaire de juifs algériens communistes s’engage en faveur de l’indépendance du pays comme les familles Saïd, Hanoun et Timsit. Murielle Saïd accueille chez elle des réunions clandestines pour les militants indépendantistes. Son fils, Jean-Pierre est arrêté et interné dans le camp de Lodi (Algérie), sa fille Josette interrogée par la police. Son neveu, Pierre rejoint en 1956, à 17 ans l’Armée de Libération Nationale (ALN), comme infirmier. Surnommé « el Hadj », il meurt dans le maquis en 1957.
Lucien Hanoun, professeur de français et proche de Maurice Audin, est à la tête journal La Voix des soldats. Il est interné au camp de Lodi en 1957. Sa sœur Armide, soupçonnée d’attentat à la bombe, est expulsée. Son frère Ulysse, en France, militant aussi est victime d’un attentat de l’OAS.