Parcours

61967 et après, éloignement et oubli. Vers d’autres destins

Section 5

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Patrick Zachmann, Cité des Sablons (composée de 620 appartements), Sarcelles

La France de la fin des années 1960 compte 600 000 juifs et 700 000 musulmans (d’origine arabe et berbère), dont la grande majorité vient des pays du nord de l’Afrique. En 1967, le conflit israélo-palestinien s’invite en France. Les ondes de choc des bouleversements géopolitiques par la suite assombrissent les relations de groupes sociaux originaires du Maghreb partageant une culture nord-africaine commune.

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Patrick Zachmann, Cité des Sablons (composée de 620 appartements), Sarcelles
Patrick Zachmann, Cité des Sablons (composée de 620 appartements), Sarcelles, 1989.
© Patrick Zachmann/Magnum Photos

En France, à partir des années 1980, la question de l’islam et de ses nouveaux modes d’affirmation s’impose sur la scène politique et religieuse. En parallèle, la montée de l’extrême droite entraîne une mobilisation importante de la jeunesse contre le racisme et l’antisémitisme. La relation de l’islam – deuxième religion de France – avec l’État est régulièrement perturbée par des tensions et des incompréhensions graves. Après le 11 septembre 2001, l’affaire des caricatures danoises (2005) et l’enchaînement tragique des actes terroristes commis au nom de l’islam, qui ont notamment visé des espaces et des citoyens juifs, entraînent un débat national confus et surmédiatisé sur la compatibilité de l’islam avec les règles de la République.

Des identités politisées

Après 1962, les deux communautés trouvent le chemin de la France et de ses banlieues en construction. Pourtant, la séparation se creuse davantage.
Les juifs avaient choisi, pendant la période coloniale, l’intégration politique à la société française. En arrivant dans l’ancienne métropole de l’empire, beaucoup maîtrisent la langue française et connaissent les codes de cette société par le biais de l’appartenance, pour beaucoup de juifs d’Algérie, à la fonction publique. Ce qui n’est pas le cas des travailleurs immigrés maghrébins en France, relégués au bas de la hiérarchie sociale.
Ces différences trouvent un catalyseur puissant dans la question palestinienne, qui arrive en surplomb d’un siècle de malentendus et de divergences entre les deux communautés. Ces divergences pourront parfois aller vers une radicalité identitaire, d’autant plus forte qu’elle sera favorisée par la crise du modèle républicain français, celui de l’assimilation.

Belleville et Sarcelles, cœur des tensions et des interactions

Situé entre les 10e, 11e, 19e et 20e arrondissements parisiens, Belleville est l’un des grands carrefours culturels de l’Est parisien et un quartier d’immigration historique de la capitale. Après 1956 et 1961, les juifs tunisiens, souvent de condition modeste, y reconstituent une « petite Goulette » et façonnent l’atmosphère « orientale » des édifices religieux, restaurants et autres commerces de ce quartier dont ils partagent les espaces publics et les marchés avec les musulmans issus d’Afrique du Nord. La rénovation urbaine de Belleville entraîne le départ de nombreux habitants vers la périphérie, à Sarcelles notamment où sont logés de nombreux rapatriés d’Algérie après 1962. Malgré quelques tensions spectaculaires, comme à Belleville en 1968 ou à Sarcelles en 2014, les relations intercommunautaires restent relativement apaisées.

Racisme anti-Maghrébins, antisémitisme : même combat ?

À l’issue des années 1970, marquées par les violences racistes visant les personnes d’origine maghrébine, la jeunesse se mobilise dans la rue. Parallèlement, le retour d’un négationnisme contestant l’existence des chambres à gaz alerte l’opinion publique sur la persistance de l’antisémitisme en France. Le front commun des luttes contre le racisme et l’antisémitisme se fissure toutefois face à l’onde de choc des bouleversements géopolitiques et du conflit au Proche-Orient. Juifs et musulmans se divisent sur la politique israélienne et le soutien à la cause palestinienne.
L’affaire du voile de Creil, en 1989, entraîne une autre rupture, sur fond désormais de débat très médiatisé sur la compatibilité de l’islam avec les valeurs de la République, et sur la question de ses nouveaux modes d’affirmation dans l’espace public.

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Patrick Zachmann. Inscriptions antisémites dans le carré juif du cimetière de Bagneux, Ile de France. Avril 1981
Inscriptions antisémites dans le carré juif du cimetière de Bagneux, Ile de France. Avril 1981.
Patrick Zachmann © Musée national de l’histoire de l’immigration