Parcours

3Déséquilibres : quand le changement climatique menace le vivant

Migrer a toujours été une stratégie des êtres vivants pour s’adapter aux conditions changeantes de leur environnement. Cependant, aujourd’hui, les bouleversements du climat causés par les humains sont si rapides que les espèces vivantes peu ou non mobiles peinent à s’adapter, et celles qui peuvent se déplacer migrent de plus en plus vite.

Laura Henno, "Un jeune cloue une tôle de son banga. Quartier informel de Barakani, Mayotte" © Laura Henno

Legende

© Laura Henno

Credit

Un jeune cloue une tôle de son banga. Quartier informel de Barakani, Mayotte, février 2025

Ces changements bouleversent les écosystèmes, mettent en péril les moyens de subsistance, et transforment le mode de vie des communautés humaines, étroitement liées à la nature. Cependant, le climat n’est jamais la seule cause des départs. Il s’ajoute à des crises économiques, sociales ou politiques déjà existantes. La migration résulte toujours d’un enchevêtrement de causes.

Même si les populations humaines sont inégalement touchées, les effets du changement climatique sont visibles partout : en Vendée, à Mayotte, au Groenland, en Louisiane, au Soudan du Sud ou dans la vallée du Mékong. L’exposition présente des témoignages qui disent l’ampleur des catastrophes ou de la dégradation progressive de l’environnement, jusqu’à le rendre parfois inhabitable. Ces expériences, vécues de manière très différente selon le rapport que les populations entretiennent avec les éléments naturels, relatent la douleur de la perte, mais aussi le courage de s’adapter, de résister ou de partir. Face à cela, le débat public s’enflamme souvent, polarisant les questions migratoires et privilégiant les images-choc à la compréhension des causes profondes.

Vulnérabilité et résilience des territoires français

En France, le changement climatique menace progressivement l’habitabilité de certains territoires. L’élévation du niveau de la mer accélère l’érosion du littoral. Le recul du trait de côte entraîne la submersion de zones dont les habitations ou les activités doivent être relocalisées. D’autres régions subissent davantage de sécheresses, de canicules ou de phénomènes extrêmes, comme des tempêtes rendues plus intenses par les effets croisés du réchauffement de l’océan et de l’humidité accrue dans l’air.

Face à ces événements, les habitants cherchent à comprendre ce qui leur arrive, à tirer les leçons du passé et à construire l’avenir. C’est le cas en Vendée après la tempête Xynthia (2010), ou à Mayotte après les passages du cyclone Chido et de la tempête Dikeledi (2024-2025).

Mayotte : zoom sur la résidence artistique d'urgence de Laura Henno

En décembre 2024, le cyclone Chido touche violemment une partie du territoire français à Mayotte. Afin de réagir au plus vite contre l’effacement des mémoires, le Palais de la Porte Dorée propose une résidence artistique d’urgence sur l’île à Laura Henno, qu’elle effectuera du 11 février au 5 mars 2025.  

Dans ce territoire qu’elle connaît très bien et où elle travaille depuis 2015, Laura Henno, loin de son registre habituel, pose son regard tout en délicatesse et sensibilité sur la violence de la catastrophe et ses conséquences. Elle est marquée par la rapide reconstruction de quartiers informels – contrairement aux habitats classiques – et notamment des Banga, remontés avec d’anciennes tôles défroissées et de nouvelles tôles en aluminium. 

D’autres images frappent singulièrement à l’instar de ces écoles bâchées mais pillées et à l’abandon, de cette mosquée aux murs arrachés où il ne reste plus que la cloison abritant l’alcôve pour la prière, ou encore de ce cimetière de bouteilles en plastique rappelant l’urgence de l’approvisionnement en eau. 

L’artiste pointe également les mutations engendrées par le cyclone sur la nature. Avec ces arbres coupés qui ont perdu leur canopée, les perspectives se transforment. Des paysages sans ombre, détruits, se font jour. La vie quotidienne comme l’agriculture s’en trouvent perturbées. Et dans la mangrove, l’écosystème bouleversé rend certains passages impossibles. 

Dans ces panoramas désolés, anéantis, Laura Henno n’oublie jamais la part humaine et donne à voir la vitalité de personnes en quête de réinvention. 

Isabelle Renard. Catalogue de l’exposition Migrations & climat. Comment habiter notre monde ?, 2025, p. 106-107.

Laura Henno, "Un baobab fauché par Chido. Plage de Mzouazia, Mayotte" Février 2025

Legende

Laura Henno, « Un baobab fauché par Chido. Plage de Mzouazia, Mayotte » Février 2025

Credit

© Laura Henno

Louisiane, coconstruire son futur lieu de vie

Au sud de la Louisiane, l’Isle de Jean Charles disparaît peu à peu sous la mer. Elle est rongée par les ouragans, l’érosion côtière et la montée des eaux, conséquences directes du dérèglement climatique. Parallèlement, l’affaissement des sols s’intensifie sous l’effet de plusieurs décennies d’exploitation pétrolière. En 2016, les derniers habitants de l’île reçoivent une aide fédérale pour être relogés à 70 km au nord. Présenté comme un modèle face aux déplacements climatiques, ce projet soulève des tensions. La communauté autochtone majoritaire, la Jean Charles Choctaw Nation, dénonce son exclusion des décisions et la perte de contrôle sur ses terres ancestrales.

Sandra Mehl, L’Isle de Jean Charles encerclée par les eaux du bayou, 2017

Legende

L’Isle de Jean Charles encerclée par les eaux du bayou, 2017

Credit

© Sandra Mehl

Denecia et Wenceslaus Billiot dans leur maison, Isle de Jean Charles 2017

Denecia et Wenceslaus Billiot dans leur maison, Isle de Jean Charles 2017

© Sandra Mehl

Soudan du Sud, exil politique, exil climatique

Le Soudan du Sud est l’un des pays au monde les plus touchés par le changement climatique. Les sécheresses et les inondations extrêmes ravagent les cultures. Les habitants sont contraints de partir pour trouver des ressources ailleurs, sur des territoires habités par d’autres et où la nourriture manque aussi. Des conflits apparaissent également entre éleveurs et agriculteurs pour l’accès à l’eau.

La dégradation de l’environnement aggrave les tensions dans un pays déjà fragilisé par des années de guerre civile.

Les données actualisées en 2024 font état de plus de 4 millions de personnes déplacées, dont la moitié à l’intérieur du pays. Dans les pays voisins, de vastes camps de réfugiés ont été créés. Ils sont parmi les plus peuplés du monde. Celui de Bidi Bidi, en Ouganda, accueille près de 240 000 personnes.

Photographie de Peter Caton, Une famille migre vers un terrain plus élevé avec son bétail

Legende

Peter Caton, « Une famille migre vers un terrain plus élevé avec son bétail. Unyielding Floods »

Credit

© Peter Caton, 2020

Le Mékong, un fleuve aux multiples enjeux

Au Vietnam, le delta du Mékong est touché par la montée du niveau de la mer, aggravée par l’affaissement des sols. Ce phénomène s’accompagne de l’érosion du trait de côte et de la salinisation des eaux et des sols, accélérée par les sécheresses. Dans ce territoire de mousson, les inondations sont habituellement perçues comme des ressources pour la pêche et l’agriculture. Cependant, aujourd’hui, la montée des eaux perturbe les écosystèmes locaux et menace d’engloutir une partie du delta.

La construction de nombreux barrages en amont du fleuve, notamment en Chine et au Laos, pose aussi problème, car elle réduit le débit d’eau douce et bloque les sédiments indispensables à la fertilité des terres agricoles. Les changements environnementaux associés à des facteurs socio-économiques et culturels alimentent des flux d’émigration importants, notamment vers la métropole de Hô Chi Minh-Ville.
 

Bâtisse d'un restaurant abandonné situé à la pointe sud du delta du Mékong, Mui Ca Mau, où le trait de côte est soumis à la montée du niveau de la mer.

Legende

Bâtisse d'un restaurant abandonné situé à la pointe sud du delta du Mékong au Vietnam, une localité dénommée Mui Ca Mau, le 12 octobre 2019.

Credit

© Clara Jullien

Clara Jullien, Cabanes servant à la surveillance des bassins aquacoles près de la côte sud du delta du Mékong, 2022

Cabanes servant à la surveillance des bassins aquacoles près de la côte sud du delta du Mékong, 2022

© Clara Jullien

Arctique, le vivant déréglé

"Les PIzzlys" de Jérémie Moreau © Éditions DELCOURT, 2022

Legende

« Les PIzzlys » de Jérémie Moreau

Credit

© Éditions DELCOURT, 2022

Au nord du continent américain, les peuples autochtones du cercle polaire – Inuit du Groenland, Yupik d’Alaska, Inuvialuit de l’Ouest canadien notamment – sont directement affectés par la crise écologique. Bien que peu responsables du réchauffement climatique, ils en subissent directement les effets. La fonte du pergélisol (une couche de terre habituellement gelée en permanence) fragilise les sols et les habitations. En outre, le recul de la banquise bouleverse la répartition spatiale des espèces.

Ces transformations rapides affectent la sécurité alimentaire de ces populations et leur mode de vie, étroitement lié à la chasse et à la pêche. Elles perturbent également leurs repères spirituels. Dans les cultures animistes du cercle polaire, la nature est vue comme un réseau de relations entre humains et non-humains. Quand cette relation se dérègle, c’est tout leur lien au vivant qui est remis en cause.

Images médiatiques, instrumentalisation politique

Dans les médias, les migrations et le changement climatique sont souvent traités de manière similaire : avec des images fortes, parfois stéréotypées ou inquiétantes, qui suscitent l’émotion plutôt que la réflexion. Elles attirent l’attention et peuvent encourager certains à s’engager, mais elles simplifient la réalité à outrance. 

Cette approche réductrice rend plus difficile la compréhension des causes profondes et des liens entre les phénomènes. Elle freine aussi la construction de réponses communes, politiques, à l’échelle internationale, réponses qui sont pourtant indispensables.
Un nouveau discours appelé « écofrontiérisme » décrit les personnes migrantes comme une menace écologique, oubliant qu’elles sont souvent elles-mêmes victimes du changement climatique. Et parce qu’elles vivent dans la pauvreté, leur impact sur l’environnement est bien plus faible que celui des populations riches et sédentaires.

Zoom sur une œuvre des collections : Marée rouge de Ghazel 
En savoir plus

Arnaud Finistre, Ferme inondée à Aisy sur Armancon, France, avril 2024

Legende

Arnaud Finistre, Ferme inondée à Aisy sur Armancon, France, avril 2024

Credit

© Arnaud Finistre/AFP