2Rien de nouveau sous le soleil ?
Les dégradations de l’environnement ont toujours été un facteur majeur de migration dans le monde. La vulnérabilité des populations face aux aléas naturels n’est pas un phénomène nouveau.
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Brueghel de Velours (dit), Brueghel Jan I (1568-1625)
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© GrandPalaisRmn-Thierry Ollivier
Cette première partie de l’exposition inscrit les migrations liées au climat dans le temps long. Elle présente plusieurs exemples historiques de déplacements humains et non humains provoqués par des facteurs environnementaux. En effet, face à ces crises, la migration a souvent été la solution la plus efficace pour s’en sortir.
Ces migrations ont laissé des traces présentées ici dans toute leur diversité : pointes de chasse préhistoriques témoignant des adaptations au climat des chasseurs-cueilleurs savoisiens, objets rituels destinés à prévenir les intempéries, outils liés à la transhumance alpine, mais aussi œuvres d’art anciennes et contemporaines attestant la permanence du dialogue avec les forces de la nature.
Un bocal de cornichons, des morceaux de sucre, le jeu des sept familles et un petit poste de radio rouge. Telles sont les provisions rassemblées à la hâte par le père de Clarisse, une enfant dont la maison est sur le point de s’envoler, battue par les vents. Ces objets invitent chaque jeune lecteur à se questionner : qu’emporterais-je, moi, si je devais partir ?
Dans La Tempête, l’autrice Claire Seyvos convoque un orage dévastateur pour explorer les thèmes du refuge et du goût enfantin pour l’aventure. Malgré la destruction imminente de sa maison, Clarisse n’a pas peur. Sa curiosité et la tendresse de ses parents semblent dissiper toute crainte. Claude Ponti, qui a réalisé les dessins sombres et détaillés de l’ouvrage, défend l’idée selon laquelle il est inutile de fabriquer aux enfants un monde littéraire en dehors des réalités de l’existence. « Il vaut mieux que les enfants sachent que certaines choses existent, et qu’on peut les surmonter », explique-t-il. Au terme de la tempête, rassemblés dans un lit douillet transformé en radeau-cabane, Clarisse et ses parents partent en voyage, sans l’avoir choisi, mais sans inquiétude.
Olivier Bedoin. Catalogue de l’exposition Migrations & climat. Comment habiter notre monde ?, 2025, p. 42-43.
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« La Tempête », 1995 - Florence Seyvos (textes) et Claude Ponti (illustrations)
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© L'École des loisirs
Toutefois, les déplacements provoqués par le changement climatique ne constituent pas une catégorie spécifique de migrations, mais sont souvent associés à d’autres causes : économiques, sociales ou politiques. Depuis la révolution industrielle du XIXe siècle, ces phénomènes s’accélèrent et provoquent de nouvelles migrations, comme le montrent par exemple la famine irlandaise provoquée par le mildiou de la pomme de terre (1845-1852), ou encore la sécheresse américaine du Dust Bowl dans les années 1930.
Dialoguer avec la nature
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Statuette anthropomorphe
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© musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. GrandPalaisRmn Michel Urtado Thierry Ollivier
Dépendants de leur environnement pour survivre, les humains cherchent en permanence à comprendre et maîtriser les événements climatiques pour s’en protéger ou en tirer profit. Demander la pluie, protéger les récoltes des intempéries, préserver les habitations des incendies causés par la foudre ou épargner les terres des vagues géantes des tsunamis : les demandes d’intercession sont aussi variées qu’abondantes.
À travers le temps et dans de nombreuses cultures, des objets et des rituels ont été conçus pour s’adresser aux forces de la nature. Aujourd’hui encore, malgré le progrès des sciences météorologiques qui produisent des connaissances toujours plus précises et étendues, ces croyances sont encore mobilisées pour tenter de donner un sens à l’inexplicable et ouvrir l’espoir d’agir sur les éléments.
Les migrations animales et le climat
La migration est intrinsèque à l’existence même des espèces vivantes. Chaque espèce est issue d’un groupe d’individus qui a su s’adapter à un nouvel environnement ou qui s’est déplacé pour survivre. Quand le climat change, les espèces capables de se déplacer cherchent rapidement des zones plus hospitalières.
Certaines migrations, comme celles des oiseaux migrateurs, du papillon monarque, des baleines à bosse ou des gnous d’Afrique de l’Est, sont inscrites dans leurs gènes. Ces espèces se déplacent chaque année pour trouver de meilleures conditions pour se nourrir, ou pour se reproduire, puis reviennent. C’est souvent un aller-retour répété chaque année, parfois accompagné par les humains, avec les transhumances qui permettent de mieux nourrir le bétail.
Depuis plus de dix ans, je photographie les communautés Inupiat, Gwich’in et Inuvialuit en première ligne de la crise climatique en Alaska et au Canada, explorant la manière dont le changement climatique transforme la relation entre les hommes, les animaux et la terre. Depuis 2020, ce travail s’est principalement concentré sur une catastrophe environnementale à la fois urgente et négligée.
Les populations de caribous de l’Arctique ont connu un déclin choquant, passant d’une population de 5 millions à environ 2 millions d’animaux. Il n’y a pas eu de disparition d’autant de grands mammifères terrestres en si peu de temps depuis celle des bisons d’Amérique. Cette perte dévastatrice menace non seulement l’écosystème fragile et interconnecté de l’Arctique, mais aussi la sécurité alimentaire, les pratiques spirituelles et l’histoire culturelle des communautés autochtones qui dépendent du caribou depuis des milliers d’années, comme la communauté Nunamiut d’Anaktuvuk Pass, en Alaska, que l’on voit ici. « Anaktuvuk » se traduit par « l’endroit où il y a beaucoup de crottes de caribou », et cette communauté est située le long des routes migratoires traditionnelles des troupeaux de caribous de l’Arctique de l’Ouest et de Teshekpuk.
Le caribou est l’élément vital de l’Arctique. Chaque année, il parcourt jusqu’à 1 000 miles (1 610 km) dans le cadre de la plus longue migration terrestre de la planète. En chemin, il nourrit tout le monde : loups, ours, renards, faucons et souris de la toundra. Leurs pâturages élaguent les arbres et leurs sabots labourent le sol. Les anciens parlent d’eux comme s’il s’agissait d’une expression primitive.
Katie Orlinsky. Catalogue de l’exposition Migrations & climat. Comment habiter notre monde ?, 2025, p. 60-61.
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« Vanishing Caribou » - Des caribous, ou « tutu » en inupiaq, traversent le cœur enneigé de la chaîne de Brooks, en Alaska.
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© Katie Orlinsky
Le climat, un facteur de migration parmi d’autres
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Dorothea Lange, « Migrant Mother », 1936
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© Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C. USA
Dans l’histoire, le climat est rarement apparu comme la cause unique de migrations humaines. Il se combine souvent à d’autres facteurs, comme des crises politiques ou sociales. En Irlande, entre 1845 et 1852, le mildiou ravage les cultures de pommes de terre, base de l’alimentation rurale. Le climat humide favorise sa propagation, et l’inaction des autorités britanniques transforme la crise en grande famine. Plus de 1,5 million d’Irlandais prennent le chemin de l’exil.
Dans les années 1930, aux États-Unis, des sécheresses exceptionnelles frappent les terres agricoles des grandes plaines du Sud. Du fait des pratiques agricoles mécanisées, les sols exposés sont friables. Le vent soulève d’immenses nuages de poussière, le Dust Bowl, qui contraignent des milliers de familles à tout abandonner et à fuir vers la Californie.
En 1934, 1936 puis 1939/1940, trois sècheresses exceptionnelles frappent les plaines du Sud des États-Unis (Southern Plains), une région à cheval sur les états de l’Oklahoma, du Kansas, du Texas et de l’Arkansas. Combiné à l’extension de pratiques agricoles mécanisées peu adaptées à ces zones arides, le phénomène, qui prend le nom de Dust Bowl, provoque de terribles tempêtes de poussière. Enfin, le krach boursier de 1929 et la Grande Dépression qui s’ensuit, aggravent la situation des paysans et poussent près de 2,5 M de personnes à migrer vers l’Ouest des États-Unis pour trouver un sort meilleur.
C’est l’un des premiers exemples de catastrophe climatique amplifiée par le désordre d’une activité humaine et d’une crise économique. Le traumatisme est tel qu’il inspire la compassion mais aussi la rage des artistes de toutes les disciplines. Au premier rang, John Steinbeck publie en 1939 Les Raisins de la colère, qui raconte l’exode douloureux d’une famille pauvre de métayers de l’Oklahoma, roman adapté fidèlement au cinéma l’année suivante par John Ford, le héros Tom Joad étant interprété par l’inoubliable Henry Fonda. Vivant au Texas, le peintre Alexandre Hogue se rend souvent dans les plaines du Sud dans les années 30 et doit une grande part de sa notoriété à ses paysages désolés du Dust Bowl. Quant au célèbre chanteur folk Woody Guthrie, il consacre un album entier à ce drame social et écologique (Dust Bowl Ballads, 1940).
Bruno Girveau. Catalogue de l’exposition Migrations & climat. Comment habiter notre monde ?, 2025, p. 74-75.
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Alexandre Hogue, « Les rescapés de la sécheresse », 1936.
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Blérancourt, musée franco-américain du château de Blérancourt © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. GrandPalaisRmn / Christian Bahier, Philippe Migeat